Formé en sociologie et science de l’éducation, Vincent Bosson est photographe installé à São Paulo, au Brésil, depuis dix ans. Après avoir réalisé divers reportages sur la politique brésilienne, il s’est consacré à un projet de longue haleine sur les tribus amérindiennes décrites par Claude Lévi-Strauss dans son ouvrage « Tristes Tropiques ». Ce travail a donné lieu à une exposition et diverses conférences. Il a également eu l’honneur de faire partie des plus belles images du photojournalisme brésilien à trois reprises. Ancien correspondant d’un journal d’information destinée aux expatriés français, il collabore aujourd’hui avec l’agence Foto Arena et la communauté francophone au Brésil.
São Paulo, la vibrante et chaotique mégalopole brésilienne, recèle des lieux mystiques où l’homme semble dialoguer avec l’invisible. C’est en explorant les objets de mémoire que j’ai fait la découverte de l’univers fascinant du candomblé, guidé par le sacerdoce Cláudio de Oshum. La maison de candomblé se situe en périphérie de la cité, à l’orée de la majestueuse forêt atlantique, vêtue de ses robes émeraude et de ses limbes délicats. À l’approche de ce sanctuaire, une brume douce embrasse le paysage, révélant un tableau d’une beauté éthérée où une étendue d’eau s’épanouit dans l’écrin luxuriant de la végétation. Connue sous le nom d’Ilê Olá Omi Asé Opô Aràkà, la « Maison d'honneur des Eaux d'Oshum, symbole sacré qui relie le ciel et la terre d'Oshumarê » incarne un espace hors du temps, où spiritualité et mémoire s’entremêlent.
Je me suis toujours interrogé sur l’origine des offrandes que j’ai déjà observées dans les carrefours, ici et là, au grès de mes pérégrinations paulistes. Selon un ami brésilien, « c’est des trucs de macumba », associant les cultes afro-brésiliens de manière péjorative et erronée à des pratiques sataniques ou à la magie noire. Cette idée a émergé dans les années 1920, à une époque où les institutions religieuses chrétiennes au Brésil exprimaient des réserves vis-à-vis de la macumba, la considérant comme incompatible avec les valeurs bibliques.
En réalité, le terme macumba désigne à la fois le tambour qui est utilisé pendant les cérémonies, mais aussi le culte lui-même, dont le mot est plus populaire à Rio de Janeiro ; ailleurs au Brésil, il est appelé candomblé ou encore shangô.
Apparus dans l'obscurité des quartiers d'esclaves noirs venus d’Afrique, les cultes afro-brésiliens se sont mélangés au fil du temps à la culture des chrétiens blancs, des mulâtres, des Indiens, des cafuzos (descendants de noirs et d'Indiens), constituant une partie de l'héritage culturel du peuple brésilien. Dans le candomblé, le culte est divisé en nations et les fidèles vénèrent les divinités africaines, les Orishás, qui sont des forces pures de la nature. Toutefois, la méconnaissance et l’exclusion, issues du processus historique de l'esclavage au Brésil, ont conduit à la condamnation des cultes religieux africains et de leurs pratiques, entraînant discrimination et intolérance.
C’est de cette manière que Babalorishá Cláudio de Oshum m’a partagé son engagement auprès de sa communauté lors de notre première rencontre : « Je suis militant, noir, gay et pratiquant du candomblé, et j'en suis très fier, car je crois qu’il est essentiel de prendre conscience de ce qui est si bon en chacun de nous. La foi est quelque chose qui est l'air que je respire et l'air que je respire s'appelle Oshum. Oshum me procure de la nourriture, de l'argent, de la santé, de l'amour, du bonheur et je ressens de plus en plus ce sentiment qu'est l'amour dans le candomblé ».
Au cours des dernières décennies, les politiques publiques ont reconnu l'héritage historique et culturel des populations afro-brésiliennes dans la construction de la société nationale, inscrivant les lieux de culte du candomblé, appelé terreiro, au patrimoine matériel et immatériel. C’est dans ce contexte, et après des années de lutte, que la communauté de Mère Carmen et de ses fils, Karlito de Oshumarê et Cláudio de Oshum ont inauguré Ilê Olá Omi Asé Opô Aràkà en 1996, démontrant la vitalité du candomblé dans la vie contemporaine brésilienne.
D’après Cláudio de Oshum, les Orishás ont contribué à l’acquisition du terrain. Alors que la famille de Mère Carmen était sur le point de renoncer à l’achat de la propriété en raison des conditions de paiement, la propriétaire a découvert que les acheteurs avaient l’intention de bâtir une maison de candomblé sur le terrain, ce qui a facilité les négociations. Elle était la fille d’un professeur de l’Université de São Paulo, spécialiste des religions et ami de Pierre Verger, un chercheur français renommé pour ses travaux sur le candomblé.
À PROPOS DES RELIGIONS AFRO-BRÉSILIENNES
Les cultes appelés « religions d'origine africaine » ou « afro-brésiliennes » ont été créés sur le territoire brésilien par des esclaves africains.
Apparues dans l'obscurité des quartiers d'esclaves, des mocambos et des quilombos, elles se sont mélangées au fil du temps à la culture des chrétiens blancs, des mulâtres, des Indiens, des cafuzos (descendants de Noirs et d'Indiens) et même des Africains de culture musulmane réduits en esclavage, et ont fini par faire partie de l'héritage culturel du peuple brésilien.
Issus de la fusion des différentes croyances religieuses des peuples africains, comme moyen d'exprimer leur foi et de préserver leur culture, leurs langues et leurs traditions, ils sont connus sous les noms de Candomblé, Umbanda, Xambá, Batuque, Omolokô, Tambor de Mina, Cabula. Ces différents cultes présentent des caractéristiques différentes selon la région brésilienne dans laquelle leur peuple d'origine s'est installé.
Malgré leur richesse artistique et culturelle, les religions d'origine africaine ont été diabolisées et méprisées au fil du temps. L'ignorance et la marginalisation, issues du processus historique de l'esclavage au Brésil, ont fini par interdire et condamner les cultes religieux d'origine africaine et leurs pratiques, provoquant discrimination, irrespect, racisme et intolérance.
LE TERREIRO – LA MAISON DE CANDOMBLÉ
Les temples du candomblé portent différents noms : terreiro, ilê, roça, abassá, casa de axé. Ils comportent une salle principale, appelée « barracão », ainsi que des « quartos de santo », où sont conservés les représentations liturgiques et les objets de dévotion.
Chaque terreiro est une famille, formée de membres appelés pères, mères et enfants, dans laquelle le respect hiérarchique, le traitement de la révérence et le respect de l'âge, de l'ascendance et des ancêtres sont les fondements principaux.
La ramification religieuse se fait par l'intermédiaire des « Casas Matrizes », les plus anciennes maisons du candomblé, appelées « Raiz », dont la plupart se trouvent à Bahia. C'est de ces maisons que viennent les prêtres et les prêtresses qui répandent la religion dans tout le Brésil, ouvrant de nouvelles maisons et perpétuant la religion.
Le terreiro est un espace d'apprentissage et de socialisation. C'est là que les pratiquants apprennent à valoriser le savoir religieux, la mythologie et à connaître et respecter les rites sacrés. Leurs rituels internes, appelés « fonctions », ne sont pas ouverts au public.
Ces connaissances sont diffusées hiérarchiquement par le babalorixá (le « père du saint ») ou la yalorixá (la « mère du saint »).